Dans la pièce documentaire Rose et la machine, Maude Laurendeau nous raconte son parcours: celui d’une mère dont l’enfant reçoit un diagnostic d’autisme. La peur, l’amour, l’ignorance et l’impuissance se soulèvent alors en elle comme les vents d’une tempête. Ce qu’elle croyait connaître de sa fille et l’idée qu’elle se faisait de l’avenir ne tiennent plus. Et alors qu’elle tend la main pour trouver de l’aide, le système de santé lui offre ces réponses froides : listes d’attente, formulaires, évaluations, sous-financement chronique.

Le texte de Maude Laurendeau explore le vertige qui nous saisit quand un diagnostic arrive comme un choc dans notre vie, mais aussi l’incongruité des services publics mis en place pour accueillir ce vertige. Et quelque part au milieu de cette incongruité, beaucoup d’humanité.

Qu’est-ce qui t’a motivée à démarrer le projet?

J’étais dans un grand tumulte émotif. Ce parcours-là, c’est vraiment un parcours de combattant: essayer d’aller chercher de l’aide et des ressources qui n’arrivent pas, tout en essayant de comprendre son enfant à travers tout ça… On se bute à beaucoup de refus et beaucoup d’absurdités. On se rend rapidement compte des limites du système et de ce qui ne fonctionne pas bien, ce qui devient un peu aliénant. C’est ce qui m’a poussée à écrire : un besoin de prendre la parole pour faire entendre cette réalité-là et changer les choses.

Ça a commencé par « il faut changer le système, ça n’a pas de bon sens ». Mais maintenant, on dirait que ma fille fait davantage partie de notre société, qu’elle est une petite citoyenne à part entière et existe dans le monde, ce qui était moins le cas quand elle avait trois ans. Alors aujourd’hui, je ressens plus une urgence de changer notre façon de percevoir ce qu’elle est. Et j’ai davantage de pouvoir là-dessus. C’est plus faisable que de changer des systèmes.

« Mon urgence s’est transformée, elle n’est plus la même. L’urgence pour moi, maintenant, c’est de changer les perceptions. »

Qu’as-tu appris à travers l’écriture de la pièce?

À partir du moment où j’ai commencé à écrire, c’est comme si j’avais eu le recul nécessaire pour approfondir mes connaissances autour de l’autisme. Dans ce contexte-là, je n’apprenais pas les choses seulement pour moi en fonction de mon enfant, mais bien avec l’objectif de les transmettre. On dirait que ça rend le tout plus digeste.

Quand tu reçois un diagnostic, tu es tellement mal encadré, tu ne reçois tellement pas de documentation que ton premier réflexe est de te tourner vers internet… et là, c’est la jungle! Il y a de tout. On se met à lire sur les défis que notre enfant va rencontrer à 35 ans, ce qui est absurde : on n’est pas censé se projeter si loin dans le futur en sachant d’emblée à quel point le chemin sera difficile! C’est comme si tu t’asseyais en te disant « tiens, aujourd’hui, je vais lire sur les cancers que mes enfants pourraient avoir dans leur vie ». On ne vit pas comme ça!

Avec ma fille, à partir d’un moment, j’ai accepté que ce n’est pas moi qui la tiens par la main pour l’emmener quelque part. C’est elle qui me montre son chemin et qui m’apprend son rythme. Ça ne sert à rien de me projeter ou de me faire des idées sur ce qui s’en vient, parce que je suis tout le temps surprise.

Tu t’es tournée vers Porte Parole assez tôt dans le processus. Pourquoi?

J’ai l’impression que quand j’ai approché Annabel, ça ressemblait vraiment plus à un appel à l’aide qu’à une présentation de projet! [Rires] Avec le recul, je pense qu’elle m’a simplement donné les outils, dont une simple enregistreuse, pour que je puisse commencer à me structurer et à avancer vers ce qui allait pouvoir m’aider, me sauver, me sortir d’où j’étais. Son enregistreuse, ça a été comme une bouée!

Annabel s’insurge contre les injustices et les absurdités du système depuis toujours et d’une certaine façon, je pense que je suis allée valider mon sentiment d’injustice auprès d’elle. Je n’avais pas de prise autour de moi.

Le système te renvoie toujours l’image que c’est comme ça que ça fonctionne et qu’il n’y a pas d’autres possibilités. J’imagine que j’avais besoin de me tourner vers quelqu’un qui avait assez de recul sur la société pour me dire « tu as raison, ça n’a pas de bon sens ».

Et aussi, c’est peut-être un peu naïf, mais j’avais l’impression qu’en optant pour le théâtre documentaire, j’aurais un stage et un micro devant moi deux semaines plus tard pour m’exprimer. Que je pourrais rencontrer des gens et dire « ça n’a pas de bon sens! ». J’avais zappé le fait que ça allait prendre trois ans…

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Te demandes-tu parfois pourquoi tu t’es embarquée dans un projet aussi exigeant?

Complètement! Je me pose cette question-là tous les jours. Surtout en ce moment, en fait, parce que ça se passe vraiment bien pour ma fille. Il y a beaucoup de choses qui se sont déposées, qui se sont placées. Et j’aimerais pouvoir savourer ça sans repasser quotidiennement à travers tous les moments qui ont été difficiles…

Je pense que j’avais sous-estimé l’implication émotive, le fait que le show me demanderait de revivre des moments douloureux. Je pense que la pièce va vers de la lumière, mais on passe par beaucoup de noirceur pour y arriver. Et même quand le récit sort de mon vécu, ce qui arrive souvent pendant le spectacle, le sujet n’est jamais extérieur à moi.

Mais chaque fois que je parle à des parents qui vivent la même chose, à des gens qui sont sur le terrain, j’ai le rappel immédiat de l’urgence de faire quelque chose. Chaque fois, je me dis « voici pourquoi j’ai commencé à écrire. Et rien n’a changé, donc c’est important de continuer. »  D’un autre côté, je me fais aussi rappeler constamment à quel point rien ne change et tout le monde me dit que ça ne changera jamais. Alors des fois, je me demande « est-ce que c’est vraiment moi qui vais réussir à faire bouger les choses? » Je me promène entre ces deux extrêmes-là.

Espérais-tu mieux comprendre ta fille à travers l’écriture?

Non, pas du tout. Je ne suis pas allée chercher dans l’écriture de l’information pour mieux la comprendre. Les recherches que je fais ne sont pas sur l’autisme, d’ailleurs. Elles portent plutôt sur les systèmes de santé et d’éducation, sur les professionnels qui y travaillent, sur les parents…

L’autisme est un spectre, il y a autant de formes d’autisme que d’autistes. C’est très complexe. Donc je ne pense pas que j’aurais pu écrire une pièce sur l’autisme en tant que tel. Et en tant que neurotypique, ce que j’aurais pu dire n’aurait pas été représentatif.

Mais le projet m’a amenée à rencontrer des gens qui ont changé ma perception de ce qu’est l’autisme. Maintenant, quand je regarde mon enfant, je ne vois plus une enfant autiste. Ce que je vois, c’est ma fille, avec tout ce qu’elle est.

Quand tu reçois un diagnostic, ton enfant devient ce diagnostic. Ma mission est devenue de donner à ma fille tout ce qu’il fallait pour qu’elle puisse fonctionner un jour dans notre société. Parce que ce qu’on me disait, c’est qu’elle n’y arriverait jamais.

Ce que l’écriture de la pièce m’a apporté, c’est peut-être la prise de conscience de mes propres limites à moi. J’ai réalisé qu’en réagissant mal au début, je n’ai pas aidé ma fille dans tout ça. Et il y a une partie de ce choc-là dont je suis responsable, à cause de mes limites d’humain qui doit dealer avec la différence. Je crois que le processus d’écriture et toutes les personnes que je rencontre me permettent de me repositionner et de voir les choses différemment.

Le spectacle est sur ma réflexion. Je ne cherche pas tant à montrer toutes les facettes d’une problématique, je montre plutôt l’évolution de ma réflexion. Et à travers ça, je pense qu’on peut voir plusieurs facettes et plusieurs angles possibles, plusieurs façons de le vivre, parce que je suis passée par là.

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